Vue sur l'univers, blanc.
Il va dans le
salon pour prendre ses lunettes, qu’il avait laissées sur la table basse la
veille. Ses lunettes sont pour voir de loin, pour être certain de ne pas se
faire happer par une voiture ou pour lire les indications sur les édifices. Sinon,
elles ne lui servent à rien. Pourquoi vouloir quelque chose en étant loin de cette
chose? Il veut toucher, sentir, ressentir. Il se rapproche lentement de la
vitre, qui donne sur d’autres blocs appartement identiques. Quelques enfants
courent dans la ruelle, avec leurs tuques, leurs mitaines et leurs grosses
bottes en caoutchouc. Ses yeux s’attendrissent, un petit sourire en coin. Il
lève les yeux aperçoit une dame, dans son appartement qui lit un livre, sur le
bord de la fenêtre. Sans doute pour profiter de la lumière du jour. Sur son
visage, une larme coule. Ses yeux sont petits, elle est chavirée. Étonnement,
elle n’arrête jamais de faire bercer sa chaise, qui fait un va-et-vient
constant, elle bat la mesure sans en déroger. Avec ses doigts, elle caresse les
pages comme si elle guidait ses yeux, se donnait un repère pour ne pas perdre
le fil. La couverture rouge vin de ce livre le fascine. Il y a de petits
écriteaux dorés, mais il n’arrive pas à discerner les lettres. Ses lunettes
sont de bonne qualité, mais rendu à ce point… Il sent une main caresser son
épaule. Puis une autre main sur l’autre épaule. Elle est derrière lui, sa tête
est posée entre ses deux omoplates. Elle fait balader ses mains sur son torse
et lui fait un gros câlin, le serre fort, comme pour qu’il ne tombe pas en bas
si la fenêtre se fracasse soudainement. Il tourne sa tête vers la gauche et lui
dit :
—
J’ai vu ce que tu fais. T’as du talent, c’est certain.
— Mouin. J’te remercie, c’est gentil. T’as fouiné ce matin toi ?
— Oui, un peu. Je suis tombé sur ta voisine. Elle a l’air triste, elle a l’air
vraiment bouleversée.
— Ça, c’est madame Gélinas. Elle a perdu son mari il y a deux mois. Depuis ce temps-là,
elle passe ses journées sur le bord de la fenêtre, pis elle lit son livre,
toujours le même.
Les yeux de l’homme fixent la dame, à travers la vitre
légèrement embuée. Alors, la femme glisse sa main sur son épaule et le fait
tourner sur lui-même, un demi-tour, pour pouvoir le voir. La lumière éclaire
son visage, attendri et paisible. Il lui sourit, elle lui sourit, elle soupire.
Il passe sa main dans son dos, afin de la réchauffer un peu. Elle fourre son
visage dans le creux de son cou et il l’entoure avec ses bras, lui donnant un
petit baiser sur le dessus de la tête, dans ses cheveux noirs. Pendant cinq
minutes, que du silence, des respirations, le chien et ses griffes qui font
claquer le plancher de bois franc quand il se promène, les gouttes de café qui
tombent une à une dans le contenant en verre de la cafetière. Les arômes du
café envahissent l’appartement. Tout sent le café, chaque recoin de la pièce
sent le café, les draps, les rideaux. Se mélange à cela le parfum des
calorifères qui fonctionnent à plein régime, brûlant la poussière qui s’y
trouve. Ça lui rappelle les matins d’hiver, avec sa mère, quand elle lui
proposait d’aller jouer dehors. Il disait toujours qu’il préférait rester dans
la maison, et lire ses bandes dessinées. Elle se décolle de lui pour aller voir
la cafetière, elle rompt le moment en une seconde, ce moment qui était digne
d’un rêve animé venait de prendre fin. Il se retourne pour regarder à
l’extérieur, les bras croisés, les mains vides et la tête pleine.