Breakdown
Elle reste sur le canapé, dans sa grande chemise qui lui
arrive aux genoux, regarde devant elle puis se lève. Dans un petit pot, proche
de son bureau, il y avait beaucoup d’élastiques. Elle en saisit un et se dirige
vers son atelier. Elle sort quelques pinceaux, quelques couleurs, fait des
mélanges sur sa plaque, et elle lève le bras. Chaque trait est un trait fort,
gras, les coulisses envahissent la toile : vert, bleu, mauve, jaune,
orange, rouge, du noir… Le rythme s’accentue et chaque coup de pinceau devient
comme un coup d’épée, elle semble mener à bien un combat. Elle s’éloigne un
peu, stoppe l’enchainement. Elle dépose tout son matériel et va prendre son
appareil photo. Elle recule la pellicule pour la faire entrer au complet dans
la petite capsule, elle ouvre l’appareil, et va dans une minuscule pièce dans
le fond de l’appartement, cachée par des boites empilées. Sa chambre noire.
Elle allume la lumière pour se situer, la ferme, puis développe son négatif.
Ensuite, elle attend. Il faut attendre afin de bien laisser sécher la
pellicule. Quelques heures plus tard, elle retourne, elle observe son travail.
Elle est concentrée, rien ne pourrait la perturber. Elle choisit une photo et
la développe : révélateur, bain d’arrêt, fixateur… Elle sort de la chambre
noire. Elle saisit la photo de ses deux mains et va au bord de la
fenêtre : elle est parfaite. Elle l’amène avec elle et retourne dans son
atelier. Elle dépose la photo sur un petit bureau adjacent et elle sort une
toile vierge, d’un blanc immaculé. Elle commence par sortir deux
couleurs : du noir, et du blanc. Elle commence à peindre, elle fait des
traits, mélange beaucoup de blanc et peu de noir, puis beaucoup de noir et peu
de blanc, joue avec les tonalités. Elle reproduit la photo. Ses mains sont
pleines de peinture qui coule doucement le long de ses doigts. Elle étend la
peinture sur le tableau avec vigueur, chaque trait est calculé, chaque
mouvement songé. Elle crée.
Il est 20 h. Le soleil est couché depuis un bon moment et
elle, assise devant sa toile, se contente de la fixer, une bouteille de vin à
la main, avec le rayonnement d’une petite lampe de chevet et des ampoules de Noël.
Cela fait déjà un bon moment qu’elle est là qu’elle ne bouge pas d’un
centimètre. Elle contemple son œuvre. Elle s’allonge le bras pour prendre une cigarette.
Elle l’allume, aspire et expire en penchant la tête en arrière, légèrement.
Elle porte la cigarette à sa bouche : ses lèvres se posent autour de ce
petit bout jaunâtre, la fumée l’entoure, elle expire et propulse le nuage vers
la toile. La fumée danse devant elle. Il cogne à la porte et entre. Son regard
se détourne de la toile et tombe sur lui, sur son visage. Il s’approche d’elle
et prend la main. Il l’amène avec lui et s’assoit sur le lit. Elle reste debout
devant lui. Elle retire sa chemise qu’elle a gardée depuis le matin. Elle est
toute nue. Il prend son bras et le caresse. Il la fait tourner et caresse son
dos. Il donne quelques baisers dans le milieu de ses omoplates, puis descend un
peu. Il se lève derrière elle et l’embrasse dans le cou. Elle se retourne face à lui et s’étendent sur le lit.